Hier soir, nous avons reçu quelques couples d'amis. Quatre hommes, quatre femmes. Ces dernières, amies de longue date, s'étaient donnés le mot et s'étaient accordées pour s'habiller de blanc.
En les voyant entrer, ainsi vêtues de pureté, dans la pièce, alors que je débouchais le champagne, je me suis cru à un diner d'Eddy Barclay, quelque part sur les hauteurs tropéziennes. Mais un rapide coup d'œil par la fenêtre de ce frais mois de mai me ramena promptement au cœur de notre Capitale désenchantée.
Leurs quatre Jules, qui ne se connaissaient pas mais qui avaient joué le jeu et s'étaient complaisamment pliés aux consignes de leurs jeunes épouses, étaient pareillement habillés de rouge orangé.
On eu dit des sapeurs africains bien décidés à faire de cette soirée prometteuse une fête haute en couleur et diablement rigolote!
Tout ce petit monde prit place, après une profusion d'embrassades, de retrouvailles ou de présentations policées, dans le vase de la salle à manger. L'ambiance du diner fut joyeuse, la conversation vive et fraternelle, comme la tissent parfois ceux qui ne cherchent pas à rattraper le déroulé de leur propre monologue, préférant s'intéresser à l'autre, fut-il un inconnu, courant le grand risque d'en apprendre ainsi davantage et de conclure qu'il a passé finalement une excellente soirée!
Les convives passaient leur temps à faire des gestes au dessus de leur verre en signe de refus d'être resservis, ponctuant parfois leur consigne de mesure par un sourire gêné ou par un "très peu pour moi!". Un ami fleuriste m'avait prévenu si bien que je n'en fus pas vexé, moi qui avais prévu de leur servir quelques flacons dignes de ce nom!
Si bien que je passais souvent autour de la table pour les resservir, et multiplier ces petits gestes de modération amusants et les "merci, merci, c'est trop pour moi!...".
Je m'éclipsai et allai me coucher aux approches de minuit et les abandonnai à leur conversation colorée, peignant une société légère et insouciante, comme si elles eussent été quelques fleurs coupées batifolant dans une flaque d'eau en évoquant l'éternité...
Ce matin, je les retrouve un peu échevelés, les tiges de guingois, les feuilles défraîchies et le fard orangé de leurs paupières ayant coulé sur le plancher.
Au pied de ces joyeux lurons avachis de danse et de rires, les cadavres de la nuit roulent sur le sol: je reconnais quelques unes de mes meilleures bouteilles, du champagne millésimé, des hautes côtes de nuit et un reste de cognac de chez Gourmel intitulé "l'âge des fleurs"...
La prochaines fois que nous recevrons huit élégantes tulipes, on ne m'y reprendra pas. La cave sera sous alarme car en définitive: "merci! Merci! C'est trop pour moi!..."
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