Elles sont là, les trois sœurs, à peine revenues du marché, en ce dimanche de fête des mères, qu'elles se sont mises au balcon, pour fêter sa venue.
Elles viennent de passer devant moi, placidement installé dans le canapé du salon, tout occupé à écrire. Elles dépassaient du chariot à commissions, leur grosse tête dodelinant à l'extérieur, d'un rose qui s'était empourpré à force d'entendre les passants féliciter discrètement ma femme pour leur belle luxuriance.
Elles ne disent pas un mot, à part quelques murmures d'excitation qui trahissent leur fébrilité et l'empressement de la voir apparaître dans la cour de l'immeuble.
Le visage plein de lumière et fermé sur l'inquiétude comme trois poings serrés essayant de conjurer l'angoisse des retrouvailles.
Elles ont les pétales fermement recroquevillés sur leur parfum prolifique qu'aucun Sephora au monde, dans sa totalité, ne parviendra jamais à égaler. Elles se tiennent imperceptiblement vacillantes, dans le vent frais de ce mois de mai décevant, en équilibre sur leur tige trop fine pour leurs crânes trop lourds, telles trois adolescentes revendiquant leur féminité, avec un excès de maquillage et les rêves finissant de l'enfance.
Elles sont là, accrochées à la balustrade, ne perdant pas une miette du spectacle de cette cour d'immeuble, l'espérant ou la devinant à chaque fois qu'elles entendent la porte cochère s'ouvrir, avec quelques secondes de suspens, puis poussant un long soupir de déception dès qu'un voisin apparaît avec un sac de victuailles ou quelques journaux sous le bras.
Elles ne seraient pas anxieuses s'il s'agissait de la fête des voisins, cette invention marketing destinée à rappeler aux citadins leur devoir de compassion, une fois sur 365 jours d'éternelle indifférence. L'amour attend encore son prochain...
A certains instants, je les surprends à se regarder d'un air interloqué, trouvant visiblement le temps long et l'attente trop cruelle. Il est toujours pénible aux enfants de devoir attendre quelques heures pour remettre leur cadeau à leur mère tant aimée. La patience est une occupation pour adultes qui comprennent que le désir est la plus belle partie du voyage.
Les enfants eux, fébriles et impatients, ne s'attachent guère au papier cadeau et à l'art de l'emballage des choses. Il n'est qu'à observer avec quel empressement, au Noël venu, ces minuscules barbares arrachent les papiers camouflant leurs rêves consuméristes. On passe des heures à emballer de couleurs bariolées leur travers de petits propriétaires en herbe…
Soudain, la porte de l'immeuble claque et l'on entend des pas, lents et hésitants. On devine un visiteur qui n'est pas familier des lieux et qui se serait arrêter pour vérifier l'étage ou l'escalier à emprunter, après avoir vaincu le digicode.
Mes trois jeunes filles se rapprochent de la grille de la fenêtre. Elles se serrent les unes contres les autres. L'une s'agrippe au fer forgé, jetant sa jeune impatience deux étages plus bas. La porte vitrée séparant le hall de la cour s'ouvre enfin.
C'est alors qu'elle apparait enfin, splendide et rayonnante, d'une élégance qui puise dans ce jour endimanché tout ce que l'insouciance et la joie de vivre ont consentie à y dissimuler. Une splendide pivoine, toute vêtue de carmin, tirée à quatre épingles, plantée sur des aiguilles Gian vito Rossi à la place des talons, se dirige vers l'escalier B.
Mes trois donzelles enflammées sont heureuses de recevoir leur maman et nous remercie de contrevenir à cette règle idiote qui consiste à n'accepter, chez les fleurs, que des nombres impairs. En ce dimanche d'exception et de réconciliation, nous sommes heureux de militer pour le regroupement familial, fut-il dans le monde végétal que l'on prend trop souvent pour un art décoratif, alors qu'à bien observer ces fleurs magnifiques, force est de constater qu'il s'agit plutôt d'un prolifique exemple de l'Art de vivre et de la plus belle preuve d'amour.
Alors, bonne fête à toutes les mamans de la Création ! Vous pouvez désormais tendre vos bras et ouvrir tous vos pétales…
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