Ma femme de ménage est polonaise.
Elle travaille à mon service depuis 1997.
Dix-huit ans maintenant !
Et travaille au sévice de mes pulls en cachemire, avec un excès de vice, depuis une dizaine d’années seulement.
Comme certains obstétriciens qui sont des as de l’ablation des ovaires, sans jamais se tromper, elle s’est visiblement spécialisée dans la réduction des pull-overs, sans jamais commettre la moindre erreur ou en oublier un à malmener.
Elle a développé un talent fou et un certain doigté artisanal, pour rétrécir mes laines délicates, à coup de lessive bouillante, de séchoir brûlant tout espoir de délicatesse, pour finir entre les voiles et la vapeur de son fer à repasser.
Elle a déposé un brevet pour transformer de somptueux et onéreux cadeaux de noël ou d’anniversaire, dont j’ai tant besoin dès que l’hiver pointe ses premiers frimas, en sorte d’échantillon de tissus, vague souvenir d’un pull camionneur ou d’un col roulé dont il ne reste que le camion et l’impression d’avoir peu roulé avec !
Elle est à la science du pressing ce que le Rocco Siffredi de Dorcel ou le Malko Linge de Gérard de Villiers sont au romantisme ou à la littérature.
Pour elle, le parfait et l’impeccable n’existent que dans la devanture ou sur les étales des magasins. Car dès qu’elle se charge de nos vêtements de marque, avec une science perverse du réglage de la machine à laver notre linge sale en famille, et avec une subtilité qui n’appartient qu’aux videurs de boîte de nuit devant des pull-overs éméchés, notre garde robe se transforme en atelier de confection pour maison de poupée.
Elle est un conflit permanent entre le dressing et le pressing. On se paie des griffes à prix d’or et l’on se retrouve avec des griffures que l’on règle à coup de chèque emploi service.
Son enfance, vécue au temps du communisme dans un pays qui s’est acoquiné jadis et avec une certaine complaisance avec les pires comportements nazis, lui a inculqué un certain goût pour les extrêmes, qu’elle s’efforce de transcrire après chaque lessive dans ce qui fut un chef d’œuvre de l’industrie textile. Cela devient soit excessivement court, soit extrêmement long. En effet, elle ne repasse nylon ni court. Elle repasse excessivement.
Je fais fi de sa brutalité slave qui fait mauvais ménage avec mes alpagas, mes mohairs et autres angoras, qui peuplent davantage mes souvenirs nostalgiques que mes armoires transformées en boîtes à chiffon pour cirage.
A une époque, j’avais choisi une compagne avec laquelle j’ai vécue quelque mois simplement pour passer un message, sans doute trop subliminale à ma femme de ménage. Elle s’appelait Hélène. Sans doute pour l’amadouer.
En la présence de ma femme de ménage, j’appelais ma compagne à tout bout de champ (de coton, cela va de soi), pour que ça finisse à pénétrer son cerveau vaporeux et que la noble matière devienne une belle manière. Les voisins qui n’étaient pas sourds comme un polonais, me demandaient pourquoi je hélais en permanence ma belle Hélène. Je confessai parfois, dans un accès de déprime à devoir ainsi subir les affres cumulés des femmes en ménage et de ménage, que je n’appelais pas mon amoureuse mais que j’avertissais ma polonaise au clairon de « Hé !!! Laine… !! ».
Aujourd’hui, je suis marié et vit avec mon épouse depuis sept ans. Ma femme qui a découvert tous mes défauts, dont le plus gros est indubitablement l’existence de ma femme de ménage, subit les mêmes assauts insouciants et opiniâtres contre son vestiaire élégamment garni.
Elle me lance parfois quand je rentre guilleret du bureau, après avoir éviter toute la journée, avec une certaine maestria, de me faire encorner par un monceau de problèmes : « Chérie, elle a rétrécie les pulls ! ». Je soupir d’une infinie lassitude et me dis que si on avait laissé les gosses dedans on aurait pu revendre ce scénario à Hollywood pour en faire un film à succès.
Puis je me dis en jetant mes chaussettes noires dans la box d’office qui nous sert de corbeille à linge sale, véritable antichambre de la mort, que cela arrive si régulièrement qu’on ferait mieux d’en faire une série.
Quelques jours plus tard, dès que j’ai le dos tourné, occupé à toréer les soucis du quotidien, ma femme de ménage, ange exterminateur de la soie et du coton, s’empare de nos vêtements, pour les conduire vers la chambre à gaz où l’excès de concentration de vapeur aura raison de leur couleur et de leur forme. Et tout cela avec un grand sourire sadique et sans prendre de camp !
Cette femme fidèle bien que largement perfectible, comme vous l’aurez compris, est le sec plus ultra de la buanderie. Il y a du génie sans bouillir dans ce petit bout de polonaise qui tond les moutons sur le dos de nos pulls et oublient ceux qui errent en toute impunité, en troupeaux insouciants, sous nos sommiers.
Ma femme de ménage se prénomme Madeleine.
Je lui pardonne tout, pour son côté proustien.
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