L’autre jour, je prenais un verre avec un ami entrepreneur qui s’est reconverti professionnellement, passant de l’industrie du cinéma digital au métier d’artisan-glacier.
Il s’est installé dans le petit village de Céreste, situé dans les Alpes de Hautes Provence, dont René Char fit sa résidence durant ses années de résistance.
Mon ami G. - que j’appellerai ainsi, n’utilisant que la première lettre de son prénom pour préserver son anonymat – met un grand point d’honneur, quand d’autres se contentent de n’y mettre qu’un doigt, à exceller en tout et s’est pris de passion pour cet art, vite consommé, consistant à faire des glaces avec d’improbables parfums.
Ayant un doctorat en informatique, il était naturellement plus enclin à numériser les programmes des studios hollywoodiens pour les distribuer sur un vaste réseau de salles de cinéma numérique – ce qui fut son métier précédent - que d’élaborer des nouveaux parfums de glaces sous la jolie marque Scaramouche qu’il a lancée avec succès, avec la complicité de sa femme.
Il décida donc il y a quelques courtes années de délaisser les chaînes du show à l’américaine pour passer à la chaîne du froid provençal, région qui est davantage connue pour ses canicules que par ses températures négatives. Il oublia vite les batteries du cinéma américain pour s’épanouir dans la Comedia dell’Arte d’un Scaramouche aux accents sudistes. C’est ainsi qu’il passa de sauveur de Studios au rôle d’artisan distillateur dans un laboratoire de saveurs.
La vie nous prouve tous les jours que lorsque l’on met, sur des neurones bien rangés, un travail acharné et un zeste de passion, on a de grande chance d’emprunter la route du succès qui débouche, comme l’on sait, sur le sentier de la gloire.
Scaramouche a été élu dans les cinq meilleurs glaciers français en 2015 par le classement Trip Advisor que décernent les consommateurs, seul jury qui vaille pour assurer le décollage d’une affaire et le succès d’un artisan-entrepreneur. Se hisser en à peine quatre années parmi la crème des artisan-glaciers a de quoi foutre les boules à quelques milliers de soi-disant professionnels de l’agro-alimentaire qui s’échinent chaque année à conduire une génération égarée de consommateurs vers une obésité certaine.
Mais, opiniâtre et lucide, mon ami G. sait qu’il lui faudra beaucoup bûcher, et pas seulement en cette période bénite de Noël, et ne pas se reposer sur ses jeunes lauriers, expression qui devient en l’espèce : « Ne pas passer son temps à se regarder dans la glace. ».
Alors que nous descendions tranquillement une bouteille de champagne mise en glace pour la circonstance, nous devisions sur la création d’entreprise dans ce difficile contexte économique, échangions des conseils avisés sur le développement d’une affaire et comparions nos cicatrices d’entrepreneurs comme d’autres se montrent leurs cicatrices de guerre ou leur morsures de requin.
C’est à ce moment, alors que G. m’expliquait les règles de son métier et les secrets de son modèle économique, que je décidai d’écrire ce billet.
G. m’expliqua en effet, avec une certaine pointe de naïveté et sans penser que mon esprit retors pouvait être aussi mal tourné, que l’important est de ne pas mettre trop de matière sur les cornets de glace au risque de couler son affaire en fin d’année. Je lui demandai de développer ce qu’il entendait par là et il eut cet enchaînement de phrases magnifiques qui se suffisent à elle-même pour faire entrer le métier de glacier au firmament de l’humour glacial :
- « Tu comprends, la bonne taille pour une boule de glace est 5 cm. Si tu fais des boules de 6 cm de circonférence, ce petit centimètre en trop te fait consommer 40% de matière en plus. Dans mes prévisionnels, tous nos calculs sont basés sur 12 boules par litre de glace. Si ton personnel fait des boules de 6 au lieu de 5 cm, tu passes de 12 à 7 boules par litre. C’est ce qui fait passer l’entreprise de bénéfice à perte et tu coules ton affaire. »
Et il eut cette phrase magnifique, ponctuant notre conversation, par cette fulgurance qui claqua comme vérité universelle : « la circonférence des boules est la variable la plus sensible du business plan ! ».
J’éclatai de rire, lui demandai de me la répéter afin que je puisse la noter et nous trinquâmes à cette évidence qui structure tant de choses dans l’existence. De la solidité d’un business au courage en politique.
Si le petit tailleur juif de la rue Saint-Sauveur ou la costumière de Marc Dorcel avaient été avec nous ce soir là, ils auraient sans doute acquiescé en levant leur verre à cette maxime enfin révélée : tout dans l’existence, oscille de la taille de l’habit à la circonférence des boules !
Merci mon cher G. de m’avoir mis au parfum !
Commentaires