Dans la nuit, j’avais entendu toute une série de bruits étranges que je m’empressai d’identifier, par paresse ou par crainte, comme provenant d’une fête donnée chez nos voisins du dessus, les bien mal nommés : Mattéoli.
J’avais entendu des pas légers sur le parquet craquant de l’appartement comme si des centaines de souris blanches jouaient à colin-maillard. Dans un demi sommeil, pensant que cette impression fugace faisait partie de mon rêve, je me rendormis prestement, tout en me demandant ce que venaient faire une horde de rongeurs sympathiques au beau milieu de mes rêves mâtinés de préoccupations professionnelles.
Plus tard, j’entendis comme des rires étouffés, les signes d’une agitation mondaine et une lointaine musique qui me parvint discrètement alors que je dormais pourtant sur mes deux oreilles. Je pensais, en fait, que cela venait du dehors, un voisin distant prolongeant la nuit avec quelques amis fêtard et tapageurs qui ne l’étaient pourtant pas assez pour me tirer complètement de mon sommeil accueillant.
Au matin, ayant dormi plus que de raison - ce qui m’arrive rarement - je me levai pour aller faire du café. En revenant dans le salon avec un bol bien chaud à la main, j’étais décidé à m’accorder une heure de lecture qui se diluerait, comme toujours, plus vite que mes intentions dans la nécessité d’écrire, emporté par ce que j’espérais être un torrent d’inspiration. Comme souvent je saurai aussi me contenter d’un goutte à goutte prolifique d’idées originales que je capturerai dans mes filets d’encre, ou dans les « pièges à lu » de mon clavier.
C’est là que je les découvris.
Elles me faisaient face, alors que je rentrai dans le salon, persuadé d’être le seul debout au beau milieu du calme de l’appartement.
Elles furent moins surprises que moi, se retournant à peine quand je pénétrai dans la pièce.
Je restai immobile, mon bol fumant à la main et observai ces squatteuses insouciantes, escouades de marguerites aguichantes et diseuses de bonne aventure, visiblement pas fatiguées de leur nuit agitée.
Elles n’étaient pas là hier soir et je comprenais enfin les raisons du tintamarre nocturne.
Sur la table, prenant un bain de pied dans un vase qu’elle avaient du trouver, elles conversaient avec insouciance, avec l’aplomb de propriétaires sûrs de leur bon droit et gonflés de leur fierté de possession. Elles avaient une telle assurance que je n’aurais pas été surpris qu’elles m’exhibent un bail en leur nom de mon appartement, dont je règle pourtant le loyer chaque mois, rubis sur l’ongle.
Quelques une se retournèrent quand j’éclatai de rire devant cet aplomb si féminin, certaines que leur charme palpable me désarmerait et finirait par me séduire.
Je ne pus leur donner tord sur ce point.
Je m’assis devant elles et les regardai durant d’interminables minutes converser, piailler, et agiter leur longues jambes fines dans l’eau claire. Certaines me regardaient avec de grands yeux ouverts, faussement naïfs, en chassant l’air surpris de leurs cils pâles, comme des andalouses masquant leur torride présence par le battement étudié de leur éventail coloré.
Je me demandais comment elles avaient pu prendre ainsi possession des lieux, pénétrer en pleine nuit dans l’appartement dont la porte était encore fermée à double tour.
Il y a parfois dans l’existence des moments magiques qu’il vaut mieux ne pas chercher à expliquer, qui doivent être tenus secrets et dont on doit profiter au mieux car ils révèlent une part du grand mystère de la vie.
Il ne faut pas savoir d’où provient le bonheur, ni tenter d’expliquer la beauté et ou mettre en algorithme le sentiment amoureux. Ces facétieuses et insouciantes marguerites me firent comprendre ceci : tant que la grâce féminine, le charme d’un regard amoureux ou les raisons d’un geste fraternel entre deux inconnus resteront mystérieux et inexpliqués, l’Amour demeurera un art suprême dont chacun sera à la fois le créateur, le critique, le spectateur pour devenir un jour, parfois, l’ardent collectionneur.
L’écriture m’appelait. Je quittai mes jeunes et charmantes amies après les avoir remerciées et leur avoir souhaité la bienvenue dans mon appartement.
Elles parurent surprises et émues d’apprendre que ma grand-mère, celle qui m’a élevée, se prénommait Marguerite. J’ignore si elles applaudirent la nouvelle ou si elles lui firent une standing ovation en devinant, nous loin de nous, sa secrète et bienveillante présence.
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