Cristalliser la substance d’une pensée en laissant s’évaporer l’eau inféconde qui la dilue et ne recueillir, dans les méandres prolifiques du langage, que la partie matérielle et solide de cet éther jaillit d’un cerveau créatif.
Donner corps à une idée en la prenant, à ses dépens, dans les filets subtils des mots.
La cueillir puis l’accueillir dans la musique d’une parole, pour qu’elle sorte comme une mariée irradiée de joie de la chapelle d’un crâne.
Lui donner vie et lui permettre de trouver son chemin vers autrui, comme l’eau claire d’une source jaillissant de notre gorge, se frayant un destin prosélyte, bondissant et rebondissant de cœur en cœur.
Capturer la fulgurance d’un trait d’esprit ou la beauté d’une image éclos dans les recoins mystérieux du cerveau en les figeant, grâce à un procédé d’encre sympathique, sur le papier argentique d’un instant d’éloquence.
Verbaliser, avec la conscience scrupuleuse d’un gendarme, ce qui fut un fragment de rêve, une ébauche d’intuition ou un sursaut de conscience, en inscrivant ce rayon de lumière impalpable, aussi fugace qu’un flash dans la déroute du temps, sur le papier bureaucratique d’un PV vert amende.
Traduire un sentiment et, avec la science d’un alchimiste, lui permettre de devenir une idée qui prend forme et vie, par le passeport d’une voix, dans le firmament d’une conversation, franchissant alors toutes les frontières que les hommes ont tracées autour d’eux pour se calfeutrer dans d’insondables préjugés.
Capter l’effluve d’une émotion en la tissant avec le fil des mots justes et scintillants sur le tapis volant d’une feuille libre, la répandre dès que l’on peut avec le vaporisateur de notre langue dans l’air du temps ou à l’oreille d’un ami.
Jaillie d’un big bang chimique et électrique dans les confins d’un crâne, c’est en traversant ainsi la nappe blanche du papier que l’intelligence se livre et devient style. L’esprit s’alliant au langage est une transmission d’énergie d’un être à un autre. Une énergie vivante, mystérieuse et bouleversante.
Ecrire une phrase parfaite, qui contiendrait toutes les autres et résumerait un secret partagé de l’existence humaine, peut mobiliser toute une vie. Ciseler une phrase dans le marbre laiteux d’une page est aussi difficile qu’entreprendre ses rêves ou bâtir un empire durant toute une existence.
Une simple idée a parfois le poids d’un inestimable royaume.
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