Ce matin, en l’espace de dix petites minutes, je fus accablé par une scène révélant la triste ironie de la vie puis miraculeusement sauvé par l’émerveillement d’un spectacle plein d’espoir.
Alors qu’au sortir de la place de l’Etoile, je bifurquais en moto pour m’emmancher dans l’avenue Marceau, je faillis percuter une touriste asiatique sur le coin du trottoir. Celle-ci était toute occupée à se tirer le portrait avec son iPhone fixé au bout d’une perche, pour qu’elle puisse figurer sur une photo souvenir, sur fond d’Arc de Triomphe.
Qu’il y a-t-il de plus pathétique et attristant qu’un selfie esseulé qui sera promptement envoyé sur un réseau social afin d’afficher, pour des amis que l’on ne connaît guère, ce sourire de bonheur en façade. Mise en scène d’un narcissisme déplacé et vain qui ne mérite sans doute pas l’honneur d’un arc triomphale !
Arrivé Place de la Concorde, la bien nommée de circonstance, je m’arrêtai au feu rouge pour mon plus grand bonheur. Je dus laisser traverser une file indienne de petits garnements d’à peine six ans qui s’en allaient jouer dans le jardin des Tuileries, par ce beau matin de juin.
Magnifique brochette de diversité et de ce que devrait être plus souvent la République Française, ils se tenaient par la main, avançant par pair, certains déjà en couple mixte, d’autres sans doute futurs défenseurs d’un « mariage pour tous » dont ils n’expérimentent que les bourgeons.
Noirs, Beurs, Blancs, Asiatiques, cette troupe bigarrée illuminée d’innocence me passa sous le nez avec la fierté et la joie d’une troupe de soldats romains ivres de conquêtes à venir.
Qu’il y a-t-il de plus poétique et revigorant que de très jeunes citoyens qui nous donnent une leçon de savoir-vivre ensemble et de joyeuse fusion des différences ? Y a-t-il un plus beau réseau social que la petite bande d’Astérix en herbe, sur fond d’Obélisque parisien, apprenant à traverser dans les clous de la Concorde, sous l’œil vigilant de parents aussi amusés que moi ?
Je remis les gaz lorsque le feu passa au vert, avec dans les yeux un surcroît de gaieté et d’espérance. Une vingtaine de lutins turbulents et joviaux, en une belle leçon d’entente collective, venait d’effacer l’amertume éprouvée quelques minutes auparavant d’avoir constaté où la solitude et le paraître pouvaient mener les hommes.
Pourvu qu’aucun de ces enfants n’oublie jamais ce jour où il du prendre la main d’un ami pour traverser une place majestueuse et s’en aller jouer vers une journée de printemps.