Avec la complicité de quelques amis militants qui vinrent diner hier soir et laissèrent vraisemblablement la porte d’entrée entrouverte, une escouade de pois de senteur a pris possession de mon appartement.
Je découvre cette bande de squatteurs, au réveil, alors que je suis encore empêtré dans les filins du sommeil, tandis qu’au dehors les plus hautes autorités sont tout occupées à commémorer l’armistice et à déposer des bouquets sous des arcs triomphants.
La paix se célèbre à l’extérieur, mais le plus envahissant toupet fait le siège de mon logis.
Eberlué par leur légèreté et le rose de leur teint, je tente d’établir le contact avec ce bouquet de fleurs originaires de l’Italie du Sud et de Sicile. Je leur demande, à grand renfort de gestes et de mots, pourquoi on les appelle des pois de senteur, dénomination masculine alors qu’elles explosent de féminité et de délicatesse au beau milieu de mon salon.
Elles sont ébouriffées et follement insouciantes, à peine vêtue d’une robe légère que la soie de leur pétale transforme en lolita parisiennes qui chaloupe en riant sur la tige de leurs talons aiguille trop hauts pour elles.
Elle ressemble à des ambassadrices du printemps qui jouent au mikado avec leur tige rectiligne et leur silhouette de spaghetti, s’entremêlant de ce qui ne les regardent pas.
Curieuses commères échevelées et vaporeuses à la terrasse ensoleillée de la table de mon salon, elles ont délibérément décidé de finir leurs jours dans mon appartement. Bronzant sous un rayon de soleil, ça piaille de rose et jacte de carmin.
Conciliabule de féminité et de charme, elles sont aguicheuses comme des bohémiennes ressemblant à Gina Lollobrigida qui vous tendraient une fausse pétition et en profiteraient pour vous faire les poches que la nuit a laissé sous mes yeux.
Tout ce qu’elles me dérobent de clinquant et de précieux elles s’empressent de l’accrocher au reflet de leur pétales, et se sauvent en riant comme une volée de moineaux facétieux.
Conciliant envers ces frivoles migrantes et bouleversé par leur beauté sauvage, j’accepte de les accueillir sous mon toit, sans prévenir le ministère du logement ou faire une main courante au commissariat le plus proche.
Je me réjouis secrètement de ces quelques jours de Dolce Vita que je vais passer avec ces splendeurs échevelées mais joyeuses, à parler de la pluie et du beau temps, à les écouter me raconter les paysages époustouflants de leur Sicile natale.
Dans un concert de rire et d’anecdotes volcaniques, entre deux verres de Marsala, nous trinquons à la vie et à la mort, à la beauté du jour et au pois léger qui s’évapore en senteur. La plus belle façon de sceller notre Cosa Nostra.
C’est décidé : je ne fermerai plus jamais la porte d’entrée de mon appartement !
Commentaires