L’orage se fait toujours précéder d’un instrument à vent qui souffle des bourrasques en fanfare.
Il s’avance, noir et menaçant, roulant ses tambours lointains, pour annoncer son entrée en scène, comme lorsque l’obscurité se fait dans une pièce et que les convives initiés martèlent les tables et les verres afin d’imposer le silence, seul écrin à l’événement qui s’apprête.
Un dieu invisible ouvre discrètement la porte du réfrigérateur céleste et plonge les humains, qui scrutent les cieux d’un air inquiet, dans une fraîcheur de tempête approchante.
Une goutte de cristal liquide tombe soudainement sur la peau. Elle est lourde et gonflée de son rôle d’éclaireur, sachant l’Armada qu’elle précède de peu. A peine morte, elle est vite rejointe par une seconde, une troisième qui éclaboussent de leur chute libre les objets qui cuisaient au soleil, quelques minutes auparavant.
L’escadron de la pluie arrive en une chevauchée fantastiquement dense.
Des milliers de kamikazes propulsent leurs canadairs sur le sol en un ballet continu.
Les gouttent s’écrasent et rebondissent sur le bitume encore chaud.
Des coups de canon retentissent dans le ciel obscurci. La guerre se rapproche. D’immenses judokas, aux prises avec l’intempérie, choient bruyamment sur le tatami du ciel désormais gris. L’azur n’est plus qu’un bon souvenir effacé par ce tombeau de pluie drue et froide.
Les toits, aux gouttières débordantes improvisent, comme ils le pleuvent des douches généreuses.
Des gerbes de pluie fanent sur les trottoirs désertés et s’enfuient, comme qui rigole, dans les caniveaux déguisés en rivières en crues.
Les platanes de l’avenue, collaborateurs dociles font cortège au déluge tel un peuple immobile qui saluerait l’orage conquérant. Les arbres fascinés par ce spectacle tant attendu agitent le fanion de leurs feuilles mouillées et accueillent avec soulagement la fuite inexorable de l’anticyclone en déroute vers des horizons plus accueillants.
Les quelques humains qui se hasardent encore sur la chaussée se transforment très vite en éponges galopantes.
Toute la ville en profite pour faire sa toilette.
L’orage passe lentement après avoir pris une dizaine de photos de tout ce chambardement. Quelques automobilistes, pourtant au ralenti, ont cru avoir été flashés par la marée chaussée de bottes en caoutchouc.
Pendant cette poignée de minutes, des hordes d’êtres humains se sont accumulées par grappes entières sous les haut-vents des bistrots ou à l’abris des kiosques à journaux.
Pendant quelques instants, l’orage a contraint tous ces individus d’ordinaire indifférents à leur prochain à se côtoyer, à échanger des sourires, à se dire pardon alors qu’ils s’insinuaient dans la mêlée à la recherche d’un coin sec et à parler de la pluie et du beau temps.
L’orage salvateur et taquin aura au moins fait progresser, dans la ville anonyme, l’esprit d’humanité et le goût du partage.
Sa mission bien remplie, il s ‘éloigne lentement, tirant dans son sillage le voile grisonnant de sa voiture balaie.
Les trottoirs luisent maintenant comme des miroirs sans tain.
Quelques minutes auront suffi pour rendre aux hommes leur part d’humanité.
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