Il y a quelques temps, un dimanche matin, je décidais de faire plaisir à mon fils et à un de ses petits copains qui avait dormi à la maison, en les emmenant à la Cité des Enfants, située dans l’enceinte de la Cité des Sciences de La Villette.
Je passe sur l’effort que cela me demanda, à l’idée de prendre la voiture et d’aller me jeter dans ce grand temple désincarné de la connaissance où j’allais devoir affronter des hordes infantiles de bon matin, alors que les fondations les plus lascives de ma nature humaine m’enjoignaient de n’en rien faire et de me prélasser sous la couette, pendant que les deux super héros sauvaient d’improbables galaxies sur leur Nitendo DS respectives.
Mais le manque d’entrain fut vite dissipé par le plaisir que je semblais faire à mes deux Einstein en herbe, et à l’idée que j’aurais une bonne heure de tranquillité et de lecture devant moi, alors qu’ils seront accaparés à construire, tester, expérimenter, et à explorer les arcanes scientifiques de notre drôle de monde, au travers des dizaines d’expériences ludiques mises à leur disposition.
Une fois là-bas, je fus soulagé en constatant qu’il n’y avait pratiquement personne, quelques dizaines de personnes errant dans l’immense hall central. A la Cité des Enfants, une trentaine d’enfants matinaux et curieux, accompagnés par le plus courageux (ou le plus seul) de leur parents, attendaient nerveusement que les portes du savoir scientifique s’ouvre enfin à eux.
Quelques minutes d’attente où je m’occupais à observer la mine réjouie des parents gaga de leur progéniture remuante, rêvant sans doute de contribuer par cet exercice dominicale à l’éveil, quand ce n’est pas à la réussite scolaire, de leur cher bambin, avec ce rêve bien français : « mon fils, tu seras ingénieur ! ».
Puissent la Cité des Enfants et les efforts pédagogiques (et je dois avouer, plutôt intelligents) de la direction de la Cité des Sciences y contribuer à leur niveau.
D’autres parents, à la mine blafarde et encore tout ankylosée d’une nuit trop courte, avaient le regard dans le vague, trahissant une absence ou un esprit encore emmitouflé d’un sommeil bien pesant. Je devinais les projets d’une sieste réparatrice et bien méritée, sorte de repos du guerrier de la connaissance qu’ils s’octroieraient au seuil de l’après midi.
Je laissais Mattéo et Aurélien pénétrer dans l’espace fermé de la Cité des 5-12 ans. Avant de les y rejoindre pour les voir jouer et s’amuser, ce qui est toujours un exercice rassurant et plein d’enseignement, je demandai où se situaient les toilettes. La jeune fille à l’entrée m’indiqua les plus proches tout en me précisant qu’il y en avait également à l’autre extrémité de l’aile Nord de la Cité.
Je m’étonnais de ce choix et du fait qu’elle m’indiquait des toilettes toutes proches, donc forcément plus pratiques pour l’envie pressante qui se faisait sentir, et d’autres, beaucoup éloignées, qui présentaient une intérêt beaucoup plus relatifs. A-t-on déjà vu un passant nous demander où se situent les toilettes les plus inaccessibles. La phrase consacrée n’est-elle pas « Savez-vous où se trouvent les toilettes les plus proches » ?...
Je me demandai ce qu’elles avaient en plus, s’il s’agissait de ses préférées, et l’idée me traversa que les plus proches devaient souvent être « hors service » ce qui obligeait cette jeune personne à se lancer dans une expédition lointaine pour satisfaire ses besoins les plus intimes.
À son étonnement, après lui avoir souri, je me dirigeai vers les toilettes du bout du monde pour goutter à ce qui allait être un moment de tranquillité et de tête-à-tête avec moi-même. L’expérience enseigne qu’il y a des moments, à l’opposé d’un match de football ou d’un concert géant, où l’on n’a guère envie de tout partager avec ses condisciples et où la proximité de son prochain a quelque chose de dérangeant. Aller sur le trône est un acte profondément solitaire. D’ici à penser que le pouvoir isole, il n’y a qu’un pas !
Effectivement, comme le dit subtilement le guide Michelin en face de l’explication des 3 étoiles, ça « vaut le voyage » : les toilettes étaient isolées, impeccables, vides de toute présence humaine. J’oserai même dire vide de « toute trace » de présence humaine, même passée, ce qui n’est franchement pas le cas de toutes les toilettes publiques, où certains individus, sculpteurs ou artistes peintres dans l’âme, se plaisent à laisser d’innombrables indices de leur passage, sous forme de graffitis, quand ce n’est pas le fond de la cuvette qui témoigne de leur passage récent. Il paraît que c’est dans le besoin que l’on reconnaît ses amis. Ce n’est pas mon cas !
Confortablement installé dans l’un des cabinets et tout occupé à mes petites affaires, je gouttais, avec une délectation non feinte, à ce moment solitaire tout en échafaudant les plans de la journée qui venait à peine de commencer. Sachant que les garçons étaient sous bonne garde et qu’ils s’amusaient, j’étais, si ce n’est un homme soulagé, pour le moins un homme en cours de soulagement certain. Cet état de fait me produisait une sérénité d’esprit et un bien-être suffisamment palpable pour être souligné.
Soudain, alors que j’allais m’emparer du rouleau de papier, la porte des toilettes s’ouvrit et deux hommes entrèrent en parlant. Il ne me fallut guère que quelques secondes, au son de la voix et au ton de l’intrus, pour comprendre qu’il n’y en avait qu’un et qu’il était en conversation téléphonique. Curieux de ce qu’il disait, autant que craintif de révéler maladroitement ma présence, je fis silence et écoutait la conversation.
- « Mais tu me manques tant mon ange ! Moi aussi j’ai envie d’être avec toi en ce moment. »
La personne à l’autre bout du fil (drôle d’expression lorsqu’il s’agit d’un portable !) parlait visiblement plus que le visiteur de la Villette et semblait lui faire des reproches, lui signifier sa trop longue absence. Mon camarade de toilettes essayait de lui couper la parole et de la rassurer en déversant des « ne t’inquiète pas ! », des « oui, moi aussi », ou des « hum ! Je Sais » ! Rien n’y faisait. Son correspondant s’était transformé en moulin à parole. J’en déduis rapidement qu’il devait s’agir d’une femme, tant par la logorrhée verbale ininterrompue que par le ton très enjôleur du Monsieur.
Je souris quand j’entendis le bruit d’un jet dans l’urinoir à droite. Je l’imaginais essayant de se concentrer sur la conversation, toute en ouvrant sa braguette, en tenant son téléphone portable maladroitement coincé entre la joue et l’épaule, faisant attention à ce qu’il ne tombe pas dans la cuvette, ce qui mettrait un terme irrémédiable à la conversation amoureuse, voire à la relation amoureuse !
J’assistais, malgré moi, à une histoire d’amour où le sexe ne prenait pas sa part de manière conventionnelle et attendue.
- « Je t’aime mon cœur, tu sais ?!.. C’était si bon jeudi dernier. J’ai adoré. »
- ….
- « Oui, les enfants vont bien. Je les ai emmenés à la Cité des Sciences. Tu sais, ils adorent ça. Non ! ils sont en train de jouer. Je suis seul. Mais oui, je suis avec toi. Tu sais bien combien j’aimerais que tu sois là avec moi !...J’ai envie de dire avec nous… »
J’entendis le Zip de la fermeture éclair remonter. Malheureusement la chasse d’eau n’eut pas le plaisir d’être sollicitée.
L’inconnu, qui avait visiblement repris l’avantage sur son interlocutrice, poursuivait sa conversation toute en se lavant les mains, sans doute toujours avec la tête penchée contre son épaule servant à caler le combiné.
- « Non, je ne peux pas ce week-end ! Arrête d’insister bébé ! Je te promets mardi, on se voit ! Mais… Tu sais bien que ce week-end, je suis coincé avec ma femme et les gosses… ! »
Je crois que c’est à ce moment-là que j’ai mis ma main sur ma bouche pour m’empêcher de rire ou d’émettre le moindre bruit. La situation devenait scabreuse et pour le moins pathétique.
-« Ouiiiiii ! Je te promets qu’on va se voir beaucoup plus !. Je lui ai dit que j’allais devoir beaucoup voyager et que ça ne m’amusait pas. Mon cœur tout ce temps sera pour nous. Je te le promets, je te dis !! Oui, je t’aime aussi ! »
Il devait se dandiner devant la machine à sécher les mains, sans oser appuyer sur le gros bouton argenté, ce qui déclencherait la soufflerie et rendrait la conversation inaudible, tout en apportant la preuve à sa maîtresse qu’il lui téléphonait des toilettes, ce qui n’est jamais un lieu très noble pour déclarer sa flamme. La situation m’amusait franchement même si j’éprouvais un certain ressentiment à l’égard de ce piètre monsieur.
- « Bon, il faut que je te laisse. J’essaierai de te rappeler dans le Week-end. Siiiii. Mais…. Non… ».
Il n’arrivait plus à en placer une. J’enjoignais secrètement son interlocutrice de le laisser finir, car je me dis qu’à ce rythme, ses mains allaient finir par sécher naturellement.
- « Mon cœur. Faut que j’aille retrouver les gosses. Je te laisse quelques petites heures. Seulement quelques petites heures. D’accord. ? »
C’est à se moment précis où je me suis étranglé, seul, dans mes toilettes, n’en croyant pas mes oreilles.
-« Oui, je te fais pleins de bisous. Mardi je suis chez toi, avec toi, en toi !! Je t’embrasse mon Philippe. Bisous ! »
La soufflerie démarra. La porte claqua quelques secondes plus tard. Le silence reprit ses prérogatives. Et moi, dans mon rôle ridicule de Chef de Cabinet de la Cité des Sciences, je me dis qu’une folle journée venait de démarrer.
Bon dimanche !
Quel retour en fanfare Cher Frédéric ! Enfin, ça fait plaisir de te lire à nouveau et je vois que tu occupes tes vacances avec brio.
Bises amicales à toi et à ton Spiderman ;)
Rédigé par : Corinne | 27/04/2009 à 13:54