L’autre jour, je me disais qu’on devrait
toujours, lorsque l’on quitte une femme, se mettre de nouveau à la vouvoyer.
Autant le tutoiement prouve un certain attachement, un rapprochement consenti
avec la personne que l’on tutoie, comme un surcroît d’intimité que l’on
accepterait d’instaurer, autant le vouvoiement remet à distance, dès lors qu’il
succède à cet intime rapprochement et à cette preuve par « Toi » de
complicité affichée. Revouvoyer quelqu’un revient à
« karchériser » tous les liens qui nous unissaient. Quand le
tutoiement voue aux nues, le vouvoiement tue !...
Vouvoyer la femme qu’on a aimée c’est comme quitter un appartement, vider les lieux, faire le constat que plus rien ne nous relie, à part peut-être un parfum qui restera nostalgique de bons moments vécus.
Il faudrait toujours faire le bilan d’une relation amoureuse avant de se quitter, comme l’on fait l’état des lieux pour dénombrer les dégâts et les imperfections survenues avec le temps. Comme l’on rentre avec « pré-caution » dans une relation, il faudrait ensuite rendre cette caution à celle qui s’éloigne. Il faudrait partir avec une certaine élégance, discrètement, sur la pointe des pieds, comme un occupant pudique, qui mettrait des patins en sortant, après en avoir tant roulés auparavant.
Je ne me suis jamais senti propriétaire d’une relation, juste locataire de passage, même si ce passage a parfois duré plus que de raison avec la complicité satisfaite de ma colocataire. Quand on laisse un appartement, on remet en état, après avoir rafistolé trop longtemps les fissures qui reviennent immanquablement. On rebouche les trous, on passe un coup de blanc après que l’autre nous en a fait voir de toutes les couleurs. Rebouchage de trous pour préparer l’état des pieux, oserais-je dire.
Il faudrait savoir se quitter avec élégance, en consentement mutuel, intelligemment, comme un accord tacite entre un propriétaire empathique et un locataire scrupuleux qui aurait toujours acquitté ses obligations, payer son loyer rubis sur l’ongle. Le préavis devrait être respecté, parfois écourté pour cause de force majeure, ou pour un surcroît de faiblesse mineure, ou bien encore en cas de mutation affective d’un des deux protagonistes.
Comme il existe des hôtesses de l’air, on rejoindrait le peuple des « gars des eaux », ceux qui colmatent les fuites d’un passé qui s’enfuit en goutte-à-goutte, après avoir essuyé les flaques de larmes de la Belle éplorée. Purger les reliquats d’une relation qui aurait dû s’arrêter bien avant, siphonner les agrégats de vieilles engueulades, les sédiments calcaires des vieilles trahisons, déboucher les lave-à-bobos des promesses de bonheur non tenues.
Voilà ce qu’il conviendrait de faire en quittant quelqu’un. Faire place nette. Effacer les traces de son passage, comme un cambrioleur de l’amour qui effacerait ses empreintes après être entré trop longtemps dans la vie d’une autre. N’aspirer qu’à l’oubli. Bien sûr, on ne garderait pour soit que les plus « baux » moments, qui reviendraient plus tard, dans les moments de solitude ou durant les heures sombres que connaîtra inévitablement toute nouvelle relation.
Par peur du changement, par banale lâcheté ou par arrangements tacites qui se perdent sur les rives de relations adultères, certains se complaisent durant de longues années, dans des histoires interminables ou des relations de faux couples minables. Pour oublier la grisaille de leur relation, ils rêvent d’avoir l’âme gitane, sans jamais se l’avouer véritablement. Ils voudraient changer de complice amoureux comme on change de lieu de vie, être toujours en mouvement, butinant la vie avec une gourmandise de bohémien, faisant de menus larcins affectifs dans des relations sans obligation, bivouaquant sous un ciel éclairé par leur bonne étoile ou par une passion incendiaire. Mais ils demeurent inéluctablement attachés, malgré eux, à leur vie de couple, comme l’on reste dans un appartement dont on ne serait pas encore totalement propriétaire, bref, une relation à crédit, un amour hypothéqué par le temps qui passe, dont on espère sans trop d’illusion qu’il nous restera autre chose que des ruines et de vieux souvenirs à l’issu d’un échéancier interminable.
Je ne juge pas ces couples-propriétaires. Je n’en ai pas l’âme, voilà tout. Davantage partisan d’un good bye durable que d’un mauvais bail précaire. Je ne trompe pas, je quitte. Tant de gens, constatant leur erreur, coincés dans des vies aussi inconfortables que leur logement, rechignent à déménager, à changer de vie, à rompre leur contrat de co-propriété. Alors, ils trompent. A l’inverse, je résilie et en déduis que je me suis moi-même…trompé !
Je quitte et demeure solitaire quand les autres doublent. Double foyer, double vie, double vue. Je suis trop simple, trop entier pour me multiplier ainsi. C’est ainsi. Insignifiant…somme toute.
Et vous : quitte ou double ?