Ce matin, mon fils Mattéo, est venu se glisser dans mon lit, pour me réveiller en me déposant un baiser sur la joue qui avait la légèreté du papillon et la douceur d'un rêve d'enfant.
Ceci me fut d'ailleurs confirmé quand il me murmura, encore ébouriffé de sommeil, "Papa, j'ai fait un drôle de rêve! J'ai rêvé que j'avais une conversation avec un oiseau. Mais ce n'était pas des mots qui sortaient de son bec, mais des milliers de couleurs!..."
Soudainement, je compris que mon fils avait trouvé sa vocation. Je savais le métier qu'il ferait quand il serait grand, chose à laquelle je m'interdis toujours de penser, et encore plus de projeter. Il sera poète !
Je ne peux être un père plus heureux, moi qui ai toujours tenu Eluard, Prévert, Llorca, Neruda, René Char, Joë Bousquet ou encore Christian Bobin pour les égaux de Gandhi, Mandela, Mère Teresa ou Luther King. Des êtres d'exception qui changent le monde avec leurs seules mains, avec la flamme de leur vision, un regard différent sur les êtres et l'avenir du monde, et à l'aide d'une ribambelle de mots qu'il disposent dans leur voix ou sur des plages de feuilles blanches pour illuminer la part la plus prometteuse de l'humanité.
Il sera poète! Ce n'est pas ce qui paie le mieux, certes, loin s'en faut, mais il sera libre. Il verra le monde comme il devrait être, plein de couleurs, de jolies conversations, d'harmonie entre des animaux et des petits garçons et des arbres peuplés d'oiseaux-peintres. Tout cela est prometteur, même s'il reste du chemin pour que ça devienne la réalité.
A sa naissance, en le prénommant "Mattéo", j'avais dit que c'était un prénom de plombier portugais ou de grand navigateur italien. Ce sera à lui de choisir, situant son choix sur l'immense spectre des possibilités. Il semble avoir choisi la profession de poète, qui est sans nul doute une profession...de foi!
Mais en pensant à cette histoire de plombier-navigateur, je me rends compte que dans mon esprit, Mattéo était voué inéluctablement à la fréquentation de l'élément liquide. Le plombier réglant des goutte-à-goutte, et le marin fendant de son étrave des flots tumultueux. Un petit garçon qui aurait le choix entre l'infiniment petit et l'immensité bleue, entre la goutte et l'océan.
Mattéo, Matelot des robinets des maisons individuelles et traqueur de flaques dans la salle de bain collective d'un Dieu qui prend la Terre pour un bidet, serait finalement, dans mon inconscient un dompteur d'H2O. Pouvant choisir à son gré entre "Mate l'eau" pour le plombier qui colmate la fuite et "Mate l'eau" pour le navigateur qui scrute l'horizon des flots. Savoir maîtriser et regarder. Tout un art finalement.
"Peu importe le métier que tu choisiras de faire, mon fils! L'important c'est que tu le fasses du mieux du monde, que tu le pousses aux confins de son art et que tu y puises chaque jour beaucoup de passion et de bonheur."
Armé de sa clé à molette et de son gouvernail, Mattéo repartit dans sa chambre, avec de la fuite dans les idées, pour construire en Lego d'improbables vaisseaux et inventer en Meccano des maisons sans innondation... Quant à moi, je me levai d'un bond, ouvris les rideaux et constatai , une fois de plus que mon fils avait raison, que le rêve devenait réalité: dehors: les oiseaux avaient tout repeint avec des milliers de couleurs!