L’autre jour j’étais en rendez-vous avec l’un de mes développeurs informatiques qui s’est mis a expliqué, à notre interlocuteur, que le fichier qu’il allait « uploader » viendrait en lieu et place du précédent fichier, en l’écrasant tout bonnement.
!!!....
Je fus saisi d’un effroi que certains jugeront vain et absurde. Mais un frisson de terreur me parcourut l’échine. Je me mis à penser avec tendresse et désarroi à tous ces millions de fichiers que l’on devait écraser chaque jour sur la toile mondiale dans l’indifférence la plus totale. Ça ne vous effraie pas, à bien y penser ?!...
Alors la conversation se perdit dans des considérations de plus en plus techniques, s’engluant dans un vocabulaire de spécialistes, c’est-à-dire de gens qui en savent toujours plus…sur toujours moins ! J’en profitais, sans que rien ne le laisse apparaître, pour laisser mon esprit bifurquer et emprunter des chemins de traverses, en songeant à ces cadavres numériques, sortes de colis-fichiers écrasés et laissés pour compte sur le bords des autoroutes de l’information.
Que deviennent tous ces fichiers écrasés, ces poubelles vidées de nos bureaux virtuels.
Où passent ces mails non arrivés, perdus entre le clic « envoyer » et un accusé de réception électronique jamais délivré, entre une intention d’expéditeur et l’ignorance persistante d’un destinataire.
Sont-ils égarés dans les oubliettes d’une poste restante du bout du cybermonde ?
Existe-il des camions poubelles numériques qui passeraient quand les docteurs Norton ont le dos tourné, à notre insu, vidant les vide-ordures de nos messages inavouables ?
Qui se préoccupe de tous ces liens cassés, de ces mots clés mal orthographiés tapés dans des moteurs de recherche amnésiques, aussitôt zappés avec mépris, par des internautes qui les abandonnent comme un chien ou une personne âgée un jour de canicule.
Qui se charge (avant de se télécharger) de ces blogs tombés en désuétude, où les ex blogueurs sont désormais aux abonnés absents ?
Où se perdent les millions de pages caduques et défraîchies, dérivant sur l’océan cybernétique, comme autant de bateaux fantômes qui finiront tôt ou tard par percuter notre fièvre communicante en s’échouant piteusement sur nos plages de temps libre ?
Et je ne parle même pas de ces disques durs qui justement portent mal leur nom, en rendant l’âme trop tôt, en un péremptoire « erreur système » ou dans un refus obstiné de redémarrer. Ces disques durs abandonnent mollement des millions de fichiers errants ou déracinés dans la carcasse condamnée des équipements périmés. Equipements et rebus électroniques que des petits chinois insouciants feront brûler au fond de villages lointains, espérant tirer quelques yuans de ces métaux précieux en ignorant tout de la valeur véritable renfermée dans les entrailles des machines : le prix de l’information, surtout pour celui qui l’a perdu à tout jamais.
Où passe ces milliards de terabytes évaporés de toutes ces mémoires vives, disparues en une sorte d’Alzheimer numérique de dimension mondiale.
Ne devrait-on s’en inquiéter et créer d’ores et déjà un Mémorial de l’holocauste des 0 et des 1. Je sais, je suis un peu binaire, mais c’est une question de survie. Enfin, de sauvegarde !
Bien sûr je ne parlerai pas des montagnes de spams qui engorgent les incinérateurs du Web, brûlant sans relâche des milliards de propositions pour élargir nos pénis occidentaux, améliorer notre capacité de reproduction avec du Viagra à « -70% » (j’ignore encore s’il s’agit du prix ou du dosage), où des millions de dollars à gagner en endossant le chèque d’une orpheline ivorienne qui vient justement d’hériter (le hasard fait bien des choses !) de Donald Trump. Tous ces promesses de bonheur, de luxure ou de richesses qui partent en fumier.
Bref, tout cela doit bien finir par être amassé quelque part, dans des casses digitales, des ruelles glauques où s’amoncellent les détritus de nos échanges incessants, dans des cul-de-sac en PHP, traversés de flux XML indéchiffrables, jouxtant des entrepôts illégaux qui recèlent de toutes les œuvres digitales (musiques, films, logiciels) que les pirates amoncellent dans leur unités de stockage, dans les zones sombres et méconnus du world wide web.
Je me prends alors à imaginer, alors que ma réunion s’achève, que cette ribambelle innombrable de fichiers en tout genre flotte dans un monde parallèle, comme des esprits erreraient imperceptiblement autour de nous. Je souris en raccompagnant mon visiteur que j’écoute à peine, en me disant que cela pourrait faire une excellente suite à Matrix.
Après « Matrix » et « Matrix reloaded », le troisième opus avec « Matrix : la télédécharge ».
Mais comme cela pourrait faire penser, à certains esprits mal tournés, à une quelconque « manipulation » consécutive au visionnage de certains films dits « pour adultes », j’opte finalement pour une autre titre de circonstance : X-Files !
- Allez, super la réunion, hein ?
- ouais, on a bien avancé !
- Tout est clair, maintenant ?
- Parfait… à bientôt.
- ...
- Euh… Dis ! tu te charges de faire le compte-rendu de la réunion, hein !
- Au fait, dis donc ! Il date de quand le dernier back-up ?
Où passent les mails envoyés ? L’ignorance persistante du destinataire probablement ;-) Mais il faut garder l'espoir, il parait qu'il fait vivre...
Rédigé par : Corinne | 04/05/2008 à 03:55