L’attrait pour les femmes de ménage qui passent le soir dans les bureaux, corps étrangers à l’univers quotidien et survolté, annonciatrices de l’heure du répit des débuts de soirées, personnages fantomatiques qui errent de salles propres en meubles sales, d’idées noires en salles blanches, à la recherche des rebuts et des crasses laissés par les insouciants du jour.
Je dois avouer une certaine attirance, une sympathie pour ces femmes qui ne se ménagent pas, êtres furtifs qui colportent avec eux le souci de netteté, époussetant les objets les plus en vue, en insistant sur le combiné du téléphone, le dessus des dossiers, la tranche et le rebord des bureaux comme pour effacer les indices compromettant de la journée inutile qui vient de s’écouler.
L’une traîne son fardeau de soucis dans un sac poubelle noir, l’autre tente vainement de dompter, chaque soir en maugréant des jurons d’un autre continent, un aspirateur incapable de filer droit.
J’aime ces bataillons de femmes simples à qui l’on adresse un bonsoir poli, un sourire, un mot de gentillesse comme pour s’excuser d’être encore là à fournir du désordre, mais un peu fier de jouer les importants. Commando de nettoyeuses plus ou moins consciencieuses, bavardes impénitentes qui livrent des bribes de leur sale vie à qui veut bien les écouter. Elles se racontent de ci, de là, à une collègue confidente, à un vigile qui, comme elle, traque les courant d’air.
D’autres, persuadées d’être engoncées à tout jamais dans leur solitude urbaine, murmurent à voix basse des choses insignifiantes, profitant de ce dialogue avec elles-mêmes pour peupler les pièces vides de personnages imaginaires.
Gens modestes et discrets qui caressent d’un chiffon de laine la surface futile des choses importantes, qui n’aspirent pas à dessiner les moutons qui broutent ma moquette, qui n’aiment pas entendre le silence des bureaux obscurs où l’on sent encore les vibrations nerveuses de la journée de travail, qui savent qu’ils ne sont que poussière et qu’ils retourneront poussière après en avoir tant remuée.
Nobles éboueuses de l’intérieur, cantonnières de nos rues moquettées et de murs sans graffiti, elles ramassent à la pelle les feuilles photocopiées des arbres dévastés.
Blasées, elles ont néanmoins une pensée émue pour les futurs cancéreux en vidant les cendriers pleins de stress de leurs cendres précoces ou prémonitoires.
Techniciennes de surface, agents de propreté comme d’autres le sont de la circulation, elles ne s’usent pas à la tâche et virevoltent de bureaux en bureaux en un ballet chorégraphié qui se renouvelle chaque soir.
Je les vois prendre possession des lieux, se déployer à pas feutrés comme un GIGN du plumeau, me saluer discrètement, ne pas oser me demander si je vais bien avant que j’aie décroché le premier mot de sympathie.
Je respecte profondément ces humbles gardiennes de l’ordre, qui s’attachent à « l’impeccabilité » de l’apparence des lieux, qui redonnent leur éclat aux choses anodines, qui libèrent les odeurs trop renfermées dans des salles plus très propres.
Elles sont invisibles à ceux qui partent tôt. La plupart ne se doute pas de leur passage tant ils sont habitués à ce qu’elles ne laissent pas de trace.
Elles sont ce qui reste après ce qui n’est plus, celles qui reviennent quand tout semble fini.
Elles sont les vestales de la pérennité…
Je partage le sentiment que vous exprimez: ces dames vivent l'après, que nous croyons inerte.
En égoïstes imbus de nous-mêmes, quel courtoisie, quelle considération leur exprimons-nous?
J'aime votre style élégant, non racoleur, votre curiosité humaniste.
Rédigé par : leblase | 19/05/2005 à 00:03