Tant de gens vont nous souhaiter en des termes convenus une bonne année, pleine de bonnes choses, en commençant par des sentiments mièvres et des phrases automatiques.
Alors, à une époque de vœux en rafale, de texto dilapidés par mailing-lists programmées, dans le flot des SMS ou des e-cards dégainés à la cantonade, je m’interroge sur ces mots trop vite prononcés, sur ces « Bonne Année ! » décochés comme on dirait « ça va ? » sans attendre la réponse. Pourquoi ne pas adresser des vœux pluriels, des « bonnes années » achetées par paquets de douze avec la treizième gratuite, ou une « bonne vie, bonne santé, plein de bonheur et tout le tintouin… », évitant ainsi le simulacre et les obligations à répétition.
On me répondra qu’il s’agit d’une tradition, d’un rite, d’un automatisme rendu plus facile, presque plus indolore avec les nouvelles technologies.
J’acquiesce.
Simple question de calendrier et de découpage du temps, tout simplement…
Le 1er janvier à minuit, une partie de l’humanité exulte en un simulacre parfaitement reconstitué. Pendant 5 minutes on s’embrasse, on se tapote le dos, on se souhaite le meilleur du meilleur, sans trop y croire. Pourvu que ça arrive. Et puis ça va mieux en le disant. On se lèche les babines avec le regard en coin, on change de partenaire et on remet ça.
A 0h05, on dégaine nos portables et on essaie vainement de contacter nos proches qui sont pourtant si lointains, pour leur souhaiter nos espoirs et nos souhaits. On vilipende France Télécom, ou Cégétel qui ne connaissent pas Bisou Futé en ces instants cruciaux. On vitupère les dieux inscrits aux abonnés absents. On s’échine à passer sur la voie d’arrêt d’urgence des nouveaux autoroutes de l’information. On tapote fiévreusement des numéros de téléphone injoignables pour transmettre des mots en guimauve, composant nos espérances sur des claviers si peu ergonomiques à nos bons sentiments.
Ne croyez pas que je critique ou que je tente de m’extraire de ces réflexes qui m’amusent parfois avec un certain cynisme. C’est juste la manière et cette curieuse habitude grégaire qui me démangent en ce début d’année. On reçoit des vœux comme nos factures ou d’anonymes prospectus : sans trop y penser, presque machinalement. Alors quand ceux-ci sont envoyés par des machines, en un instant…Je ne sais qu’en penser. Je me dis qu’on y perd quelque chose, le goût de l’effort, un surcroît de sincérité vite envolé dans les ondes hertziennes…
Alors, un sourire au coin des lèvres, un peu comme Desproges ou un clown heureux de la représentation qui vient de s’achever, je me plie au jeu.
Je vous souhaite 12 mois merveilleux, jalonnés d’improbables surprises, qui finissent par arriver entre les quatre murs des quatre saisons ;
12 mois où l’on recherche la douce compagnie de nos pairs tout en s’efforçant de ne pas commettre trop d’impairs ;
12 mois pairs et impairs avant d’être bissextiles…
Je vous souhaite aussi 52 semaines d’une rare densité qui passeraient comme s’écoulent 60 minutes lorsqu’on attend quelqu’un depuis une éternité et qui tarde à apparaître au détour d’une providence capricieuse.
Une succession de semaines qui s’écoulent inéluctablement avec une régularité de métronome mélomane et qui abandonne des cailloux blancs sur le chemin de nos plus beaux souvenirs.
Je vous souhaite également 365 jours éclatants et rares, où chacun suivra l’autre sans parvenir à lui ressembler, se succédant avec une lente frénésie, chassant le jour précédant avec panache et nostalgie, s’habillant de nouveaux projets, plus fous que les actes déjà accomplis.
Je vous souhaitent surtout 8760 heures resplendissantes. Presque une poignée d’heures qui paraissent si nombreuses qu’on s’adonne parfois à la folie de les perdre avec insouciance.
8760 heures peintes des couleurs qui n’existent pas et qu’il nous reste à inventer, pour ne pas laisser à la facilité et à l’inconscience le loisir de colorer notre propre existence.
8760 heures où il ne tient qu’à nous d’imaginer ce qui nous reste à vivre.
Je vous souhaite enfin 525 600 précieuses minutes à dilapider avec beaucoup de chance et de discernement. En les dépensant sans compter dans des gestes d’amour, dans des actions généreuses et pleines de sens, avec humour et idéal, dans des gerbes d’enthousiasme et des sursauts de noblesse d’âme. 525 600 minutes à s’efforcer d’être en vie, debout au milieu d’une tempête de bonheur, oeuvrant à devenir meilleur et agissant pour que notre monde, si petit soit-il, devienne plus doux et plus rassurant pour les êtres minuscules que nous faisons naître.
Et si quelqu’un vous demande de l’aide, vous demande un « je t’aime », vous réclame un coup de main ou un clin d’œil amical, ne lui dîtes pas « une seconde ! », même si cette année vous en offre plus de trente et un millions. Le temps nous enrichie si on le dépense à bon escient. Il s’investit quand il s’envole sans compter, en allant se nicher dans des gestes gratuits et dans le goût des autres. Ce n’est qu’à ce prix qu’il nous revient en mille fruits gorgés de délicieuses saveurs.
Alors sachons la dépenser…cette bonne année.
Allez…bonne et heureuse année 2005 !
;-))))
Frédéric Pie
PS: crédit photo - Olivier Grunewald
Fred Pie
Je découvre de jolies choses en me promenant par içi...
Merci pour ces voeux et pour ce formidable texte...
J'y penserai...
Rédigé par : Tatiana | 17/02/2005 à 04:45
Et zou... Tu m'enlèves les mots de la bouche (enfin j'aime à le croire !). RDV bientôt chez moi pour une illustration photo du phénomène !
Rédigé par : françoise | 03/01/2005 à 14:58
Et zou... Tu m'enlèves les mots de la bouche (enfin j'aime à le croire !). RDV bientôt chez moi pour une illustration photo du phénomène !
Rédigé par : françoise | 03/01/2005 à 14:58
... avec tout cela, je sais maintenant que je vais passer une merveilleuse année... cela fait du bien d'avoir un sourire accroché à la lecture de tes mots.
Pour le reste, tu le sais, tu l'as lu, nous nous sommes embrassés.
E
Rédigé par : Mry | 03/01/2005 à 12:02
Excellent.
je partage l'ensemble de vos réflexions ; Ainsi que celles sur la goutte d'eau. Je n'ose vous souhaiter bonne année mais le coeur y est.
Cyrille
Rédigé par : Cyrille 20/20 | 03/01/2005 à 09:41