Tant qu’il y aura des hommes et du vin…
Le vin n’est pas pour moi une affaire de goût ou de palette aromatique. Je laisse à d’autres les plaisirs de l’analyse rationnelle et aux nouveaux nez, le coffret rempli de fioles pour s’exercer à reconnaître les odeurs de synthèses.
Buveur invétéré depuis de longues années, je revendique la pratique assidue de cette religion œcuménique qu’est le vin. Je dois l’avouer, la cave de Lafayette Gourmet est devenue depuis longtemps ma chapelle préférée et Bruno Quénioux, au delà d’un ami, l’un de ses vicaires les plus actifs.
J’y ai trouvé, acheté et bu des bouteilles rares ou accessibles, selon l’humeur et les caprices de la fortune.
Ce que j’y ai découvert se résume en peu de mots mais demanderait un livre entier pour l’expliquer : chaque vin est une rencontre…
Chaque bouteille est un homme ou une femme. Je choisis mes vins avec le même soin que je fréquente mes semblables. Je dois confesser qu’ils m’apportent parfois davantage de joie, de surprise ou de réconfort. J’aborde un vin comme je passe hâtivement ou je m’attarde avec délicatesse sur les êtres que je croise au quotidien. Je m’intéresse à leurs racines, à leur histoire, à leur terre, préférant les vins de génie nés d’un terroir peu affable aux substances issues d’une noblesse qui n’est parfois due qu’à l’étiquette.
J’avoue un penchant pour les vins du Rhône, capiteux et bavards, se livrant sans ambages, avec cet accent ensoleillé au fond du palais…des papes, sans doute.
J’aime aussi la compagnie des grands et des petits Bourgogne. Ils parlent aisément au gaulois qui est en moi. Aucun ne se ressemblent. Tantôt gavé de fruits ou bien excessivement animal, appelant à la réconciliation autour d’une viande et de quelques amis, le Bourgogne est un vin de vie, franc, clair, limpide et parfois, comme nous autres, si complexe et si fermé. J’emporterai avec moi le choc frontal que m’a procuré un jour le Grand Echezeaux de chez Mugneret-Mongeard.
1983 puisque qu’il faut tout avouer.
Le vin est une rencontre et un passeport insoupçonnable vers les autres. Il doit refléter le vigneron qui a su respecter son terroir et tirer partie du fruit tout en se jouant, comme un vieux singe qui ne fait plus de grimaces, les caprices du temps et les dons prolifiques de la météo. Il
Avant de percer son caractère, il est bon de savoir tout simplement si on l’aime ou si il nous indiffère. Dans ce dernier cas, il vaut mieux passer son chemin, ou changer de verre. Le vin comme la vie est une affaire d’émotion et ne vaut la peine d’être vécue que dans la pétulance, la connivence ou le plaisir de la découverte.
Il est des vins superficiels et sans plus d’intérêt que de combler la soif, comme on accepte de perdre une heure avec quelqu’un pour masquer sa solitude. Il en est d’autres en revanche qui nous poussent à nous recentrer sur nous-mêmes, à nous interroger. Ce sont presque des vins d’ermites, qu’on emmènerait au fond d’une retraite ou pour un tour du monde en solitaire.
On se met à l’écoute des sensations qu’ils nous procurent, on traque les souvenirs qui remontent en flots d’images, on entend les échos que la dégustation propose à tous nos sens arc-boutés, pris en flagrant délit d’extase. Ils sont nos plus belles et intimes rencontres. Relation charnelle autorisée mais à peine avouable, la richesse, la sensualité, la finesse ou la corpulence de ces êtres travestis en bouteilles remplissent notre vie à mesure que le flacon se vide. A ce propos, si le service livraison des Galeries Lafayette pouvait me livrer douze bouteilles de Romanée Saint-Vivant de Louis Jadot, si possible de 1996, j’accepterai toutes les pénitences du monde…
Que dire aussi des rencontres symbolisées par un Silex de Didier Dagueneau 1988 ou bien par un Saumur blanc, le Brézé des frères Foucault – peu importe l’année, ils sont tous excellents. Je passe sur le Bourg 90 des mêmes frères, qui me fait paraphraser Audiard avec un surcroît d’hommage : Les bons ça osent tout. C’est même à ça qu’on les reconnaît…Ce sont les vins d’amis, ceux triés sur le volet. Ceux à qui on confierait son fils ou avec qui on prendrait le maquis en cas de trouble. Ce sont des vins rares, d’une profondeur et d’une densité qu’on aimerait croiser chaque jour de sa vie. Ils se donnent tellement qu’ils semblent nous connaître. Ce sont des vins de sagesse et de connivence que l’on fréquente délicatement mais que l’on boit avec une gourmandise d’enfant. Ils nous rendent vifs et généreux, ouverts aux autres et plein d’admiration.
Enfin, je m’amuse souvent à mettre le nom d’un vin sur les gens que je fréquente, association parfaite et osée entre la viticulture et la sociologie.
Comme dans les contes orientaux faisant surgir d’une lampe un génie qui se matérialise en exauçant mes vœux, je me suis aperçu qu’un de mes meilleurs amis, italien et négociant en vin, aurait bien pu sortir tout droit d’une bouteille d’Amarone 1988 de Bertani. Comme son contenant de cristal, il en a le pourpre sombre apaisé par des notes gaies de fruits rouges, il incline vite à la poésie et nous ressert des vers jusqu’au bout de la nuit. Comme
Le vin est une rencontre. Tchin !
Frédéric Pie
Juin 2002
Pour Bruno (personnel et peu confidentiel…)
Je reviens des Etats-Unis où il m’a été donné la chance de rencontrer certains personnages hors du commun. Lors d’un dîner de famille, j’ai notamment pu échanger longuement avec un Monsieur de 95 ans, qui se trouve être aujourd’hui le doyen des avocats de Californie. J’ai eu le privilège d’entendre de sa bouche quelques fragments de souvenirs d’une limpidité et d’une précision étonnantes. Je passe sur l’épisode hilarant de la traversée des Etats-Unis en auto-stop en…1927.
Je bus avec jubilation le témoignage d’une vie exaltante, faite de pétales et d’épines, de plus de 65 pays visités, à une époque où voyager était davantage synonyme d’aventure que de déplacement touristique. Au terme de cette conversation, me vint une image de grand vin. Albert Hellen venait tout simplement de me faire comprendre que les hommes et les vins sont de la même nature, faits des même tanins, procurant de semblables émotions et de sublimes envolées lyriques, passeports inoubliables à notre condition humaine. J’avais en face de moi un Romanée Conti de 1907.
il m’a souvent été donné de mimer un vin, de l’exprimer par gestes, me levant de table soudainement pour porter un toast à la magie qui était en train de naître au fond de nos palais. Il m’est arrivé de partir, mon verre à la main, oubliant le vacarme de la conversation désormais inutile ou stérile, pour mieux me retrancher en moi-même, pour goûter avec extase la compagnie du breuvage ami qui saccageait avec onctuosité mes papilles endormies. Avant d’appeler les mots et l’analyse rationnelle des saveurs et des bouquets, le vin incite, lorsqu’il est grand, à la gesticulation.
Il procure des émotions physiques, il bouscule, donne des coups d’épaule au fin dégustateur pour lui rappeler les devoirs de la chair et la jubilation des grandes émotions.
Je suis ravi de le lire et le partager avec mon équipe. J'aime cette information à partager avec tous mes collègues et amis. Merci pour le partage.
Rédigé par : source | 28/07/2012 à 21:35
Bonsoir - J'adore ce billet : lyrique, direct et clair. Classe et parlant, quoi. Bravo !
Rédigé par : Lionel | 11/05/2005 à 20:26
ET surtout : "Tant qu'il y aura des hommes pour parler du vin..."
C'est un très bel hommage du vin (qui donne soif...) que tu nous offres. Il est juste qu' un vin, lorsqu'il nous offre sa "chair" peut être d'une séduction troublante.
Rédigé par : Stéphane Queralt | 03/12/2004 à 18:37
Un avis sur le documentaire Mondovino ?
Rédigé par : tao | 30/11/2004 à 23:46
De mon passé dans le monde du vin, je garde toujours en tête un parallèle avec l'entreprise. Mener une start-up c'est comme élever un vin : ce n'est pas parce que la matière première est bonne (le terroir, la vigne, le raisin / l'idée techno, la techno) que l'on va réussir (un grand vin / développer sa société). La différence se fait par les hommes : c'est le viticulteur et son équipe qui font tout comme dans une entreprise.
Rédigé par : Jacques Froissant | 30/11/2004 à 23:08