J’avais décidé en ce dimanche matin, après tant de jours de neige et de triste grisaille, afin de fêter le retour des premiers rayons de soleil, jetant leur dévolu sur l’accalmie du week-end, en biseautant les immeubles de Paris d’une lumière accueillante, de m’attaquer enfin à l’entretien de mes jardinières, qui ornent mes fenêtres et me donnent, parfois, l’illusion d’être un châtelain contemplant son parc subtilement fleuri.
Je puisai donc au fond de ma tendance avérée à la procrastination, la force et le courage de me lancer dans ce chantier de nettoyage, oscillant entre la sombre résignation du cantonnier communal obligé de s’y coller un dimanche, ayant épuisé tous ses RTT et la passion horticole d’un architecte paysagiste se prenant pour un seigneur en ce jour consacré.
J’arrosai alors généreusement les bacs pour amadouer la terre en me disant que mes pauvres fleurs devaient avoir bien soif après ces jours d’abstinence auxquels je les avais contraintes, n’osant les abreuver par crainte du gel, et que ce n’était pas quelques flocons en perdition, vite fondus devant leur beauté incandescente, qui avait du suffire à les rassasier.
Puis j’arrachais consciencieusement les reliquats de feuilles et de tiges résolument fanées, jetant leur cadavre avec un semblant de dévotion au fond d’un sac en plastique, non sans un brin de tristesse, comme un amoureux éperdu devant subir le deuil de ses amours défuntes. A chaque fois que j’exhumais le cadavre d’une de ces belles disparues, par hommage autant que par respect pour l’émerveillement qu’elles m’avaient procuré tout l’automne, je m’efforçai d’honorer leur souvenir en me remémorant leurs chatoyantes couleur et leur touchante insouciance. On a beau se transformer en fossoyeur, n’oublions jamais l’esthète qui avait tant aimé cette débauche de beauté s’affichant, durant de longs mois sous ses yeux, en un défilé de légèreté se jouant sous ses fenêtres.
Après avoir fait le ménage dans les deux premières jardinières, celles de ma chambre et celle de la cour intérieure, je m’attaquai à celles qui ornaient le salon et qui filtraient délicatement la lumière des après-midi ensoleillés tout en me protégeant des voisins trop curieux en leur opposant ce paravent coloré et bourgeonnant de promesses.
C’est alors que je les surpris, me surprenant moi-même, plantées là comme deux communiantes cachées derrière l’église, dans leur aube de pétales immaculée, blotties l’une contre l’autre pour se tenir chaud, grelottant dans ce froid de canard dans lequel février sait si bien nous plonger. Elles ne m’avaient pas entendu approcher avec mon arrosoir en plastique et tout mon attirail de botaniste en herbe, tout accaparées qu’elles étaient à échanger leurs confidences et leurs doutes religieux, vacillantes sur leur foi en se faisant des messes basses.
Je m’arrêtai soudainement, interpelé par leur beauté juvénile, par la grâce pleine de fraîcheur de ces deux adolescentes qui préféraient certainement la lecture de la Dame aux camélias à celle d’une bible les contraignait à l’eucharistie dont elles se seraient visiblement passées. C’est alors que les cloches de la basilique Sainte-Clothilde retentirent, signalant aux sages fidèles du VIIème arrondissement, l’heure de la célébration et les priant de rappliquer dare dare sous la nef, afin d’entretenir la ferveur chrétienne.
Ding, dong, ding, dong sonnaient les cloches en affolant les pèlerins, les obligeant à se plier ainsi à cette comédie séculaire si éloignée de la seule religion qui vaille à mes yeux de païen la peine qu’on s’y abandonne : la contemplation poétique de la vie dans ce qu’elle a de plus sensible, de si généreusement offerte, cette existence qui ne demande qu’à être cueillie, comme deux fleurs transies de froid, avec la spontanéité dont les enfants, les fous et les poètes font leur pain quotidien.